« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Thursday 24 March 2011

L’Iliade

Chante ô muse ! la grandeur du style et la noblesse de l’âme des personnages homériques !

L’Iliade est à la littérature ce que les pyramides d’Egypte sont aux monuments, un chef-d’œuvre encore aujourd’hui inégalé. Et tout comme il subsiste un doute sur la manière dont les anciens égyptiens ont bâti les grandes pyramides, aujourd’hui encore, les spécialistes se disputent sur la paternité de l’Iliade et de l’Odyssée (qui sera traité sous cette rubrique une prochaine fois). Mais comme pour les pièces shakespeariennes où l’on se demande s’il faut les attribuer vraiment au fondateur du Globe Theater, on peut dire pour le diptyque homérique : ce n’est peut-être pas Homère qui les a écrits, mais c’est un gars que l’on a appelé Homère.
Mais qu’importe si c’est bien l’aède aveugle qui a pondu ces deux chefs-d’œuvre immortels,  le fait est qu’ils sont là.

Homère ne remonte pas ab ovo à l’enlèvement d’Hélène de Troie pour commencer son Iliade. Il débute l’histoire in media res, c’est-à-dire au milieu de l’action, avec la colère d’Achille, fils du roi Pelée et de la nymphe Thétis, contre Agamemnon qui lui a dérobé sa prise de guerre, la jeune captive et prêtresse d’Apollon, Briséis.

Les vingt-quatre chants que constitue l’Iliade représentent un macrocosme de toutes les passions qui peuvent se consumer dans le cœur des hommes. Les Dieux font preuve de bassesse alors que les hommes sont capables de grandeur et de s’élever, comme dans les opéras wagnériens, à la hauteur de surhommes qui rivalisent ainsi avec les immortels Dieux.

L’Iliade, c’est d’abord une histoire d’amitié et de fraternité. Fraternité entre Paris et Hector, d’amitié entre Achille et Patrocle, son meilleur ami… et amant ; car ne l’oublions pas, on parle d’une époque où le véritable amour n’est possible qu’entre hommes. Son compagnon d’arme est aussi celui avec lequel on partage sa couche, ce qui rend la solidarité au combat encore plus forte.
Ainsi, l’Iliade nous parle de ce que les Allemands appellent la mannen Freundschaft, l’amitié virile. Alexandre perpétuera cette tradition très grecque avec son amitié et amour pour son bel Héphaestion après la mort duquel il coupa ses boucles comme le fit le roi des Myrmidons après que Patrocle soit tué par Hector !

L’Iliade, c’est ensuite une écriture poétique hors du commun, à la fois simple et empreinte d’un souffle lyrique incroyable : « L’impétueux Achille est toujours sur les traces d’Hector. Tel, au fond des bois, un chien presse le faon timide, qu’ont alarmé ses cris » (Chant 22).

L’Iliade, enfin, c’est le Crépuscule des Dieux wagnérien. Achille, c’est Siegfried. Le point faible de l’homme « aux pieds rapides » c’est son talon que sa mère tenait quand elle l’a trempé dans le Styx, et Siegfried c’est son épaule qu’une feuille recouvrit au moment où il se baignait avec le sang du dragon Faffner pour se rendre invincible. Dans l’Iliade comme dans la tétralogie de l’anneau, les hommes désirent l’immortalité et les Dieux aspirent à vivre des passions proprement humaines. Les hommes doivent sacrifier leur bonheur pour aspirer à l’éternité et les Dieux renoncer à l’éternité pour un instant d’amour.

Achille fait un choix, vivre comme un simple mortel, vivre longtemps, mais une vie sans gloire. Ou mourir jeune, mais en laissant son nom dans l’histoire. Nous connaissons sa décision. Homère nous montre un homme dans toute sa grandeur… un homme, comme écrivit Shakespeare dans Jules César à propos de Brutus, devant lequel la nature elle-même se dresse pour dire : c’est un homme !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Quand nous lisons la ‘suite’, L’Odyssée, Homère nous donne à voir un autre Achille, pathétique, et qui dit à Ulysse une fois dans l’Hadès : « J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan/ Fût-il sans patrimoine et presque sans ressources/ Que de régner ici parmi ces ombres consumées... »

Rimbaud aura les mêmes regrets de ne pas simplement avoir vécu comme un simple homme en déclarant : je regrette de ne pas m’être marié !

Difficile en effet, d’être plus qu’un homme.

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