« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Wednesday 23 March 2011

Et si… Dante n’avait pas rencontré Béatrice ?

Et si… Dante n’avait pas rencontré Béatrice ?


Quand un corps céleste entre dans le champ d’attraction d’un astre, la trajectoire qu’emprunte le premier est déviée par la force gravitationnelle du second. Le corps céleste qu’était Dante fut dévié par l’astre qu’était Béatrice.

Beaucoup de grandes œuvres sont le fruit d’une déception amoureuse. Si Kierkegaard n’avait pas rompu ses fiançailles d’avec Regine Olsen, peut-être que le monde aurait perdu une des plus grandes pensées existentialiste. Si Lou Andreas-Salomé avait accepté la demande en mariage de Nietzsche, ce dernier n’aurait pas accouché d’une des philosophies les plus révolutionnaires de ces vingt derniers siècles… et si Dante Alighieri avait consommé son amour avec la belle Béatrice Portinari, sans doute serions nous passés à côté d’un des monuments de la littérature, La Divine Comédie !

Pour Dante, Béatrice était cette intermédiaire entre l’humain et le divin. Comme dans les hypostases plotiniennes, qui découlent d’une procession de L’Un jusqu’à l’âme et où l’intelligence est la médiane, chez Dante, c’est Béatrice qui est l’âme, et la théorisation qu’il fait de sa pureté dans la Vita Nuova et sa Divine Comédie permet l’ascension jusqu’à l’Un, que les Grecs qualifiaient aussi de Noûs, c’est-à-dire, la partie divine de l’âme. L’âme de Béatrice a servi de miroir au poète, miroir qui lui renvoyait le reflet de quelque chose de plus grand, de transcendantal.

Mais l’âme ne se suffit pas en lui-même puisque nous ne sommes pas des êtres éthérés. Ainsi, l’œuvre dont accouche Dante qu’il soit beau n’empêche pas qu’il soit plat, que sa surface ne soit construite que sur deux dimensions. Il n’a pas eu le corps de Béatrice, il l’a eu en pensées uniquement. Ce faisant, il ne vit son amour que par procuration en l’intellectualisant, mais la plus grande intelligence, se greffant sur du vide, ne donne que du vide.

Comme chez Pétrarque, c’est l’inaccessibilité de la dame qui est la ‘rampe de lancement’ vers un amour idéalisé. En ce sens, Dante perpétue la tradition platonicienne qui distingue l’Eros terrestre de l’Eros céleste ; seul ce dernier pour le poète est digne. Dante ne rencontre Béatrice qu’à deux reprises, la première en 1274, alors qu’il n’a que neuf ans, et la seconde neuf années plus tard. Elle meurt sept ans après sans qu’il ne l’ait jamais revue. Béatrice n’a jamais accordé la moindre attention à Dante… et c’est bien pourquoi il a pu l’idéaliser, ou, pour parler comme Stendhal dans De l’amour, ‘cristalliser’.
Sans doute que s’ils avaient été ensemble, il se serait rendu compte qu’elle n’était qu’une chieuse qui lâche des pets, a des poils sous les aisselles, et ne sait pas cuisiner… et si ça se trouve, était un mauvais coup au lit.

Mais ne détruisons pas les mythes. Les humains, et les poètes encore plus, en ont besoin. Toute sa vie, Dante n’aura de cesse de penser à elle et elle se transfigurera partout dans son œuvre et il écrira dans le chant V de son Enfer : « Nessun maggior dolore Che ricordarsi del tempo felice Nella miseria », il n’y a pas de plus grande douleur que de se rappeler les moments heureux dans le malheur.

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