« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Thursday 24 March 2011

KAFKA

TRAGIQUE ! c’est ainsi que l’on peut résumer la vie de Franz Kafka !

Kafka s’est rebellé contre tout ce qui constituait son identité.

D’abord, contre sa langue. Il n’y a pas de plus grande violence et d’acte plus rebelle que d’écrire contre la langue du pays dans lequel l’on vit. Et c’est ce qu’a fait Kafka. Vivant à Prague, dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie, il décida d’écrire en allemand !

Après, contre son père. Ce dernier avait refusé que le jeune Franz n’épouse Julie Wohryzeck. Dans la Lettre au père, Kafka le décrivait comme un être autoritaire et qui se plaisait à lui faire constamment des reproches. Cette figure du père qui sera à l’origine de sa métamorphose.

Ensuite, contre la société. La société qui lui fait un procès, cette société qu’il décide de quitter pour traverser l’Atlantique et se réfugier en Amérique. Une société bureaucratisée et dépersonnalisé qui annonce l’avènement du capitalisme et, dans une certaine mesure, du totalitarisme.

Enfin, contre la littérature elle-même. Il donna en effet instruction à Max Brod, son exécuteur testamentaire, de détruire tous ses manuscrits après sa mort. Il n’a voulu rien laisser, il a voulu passer à travers la vie comme ces baisers que l’on écrit dans une lettre et qui ne parviennent jamais à destination car ils sont mangés en route par des fantômes.

Mais qui était Kafka ? Il est plus facile sans doute de répondre à la question : qui n’était pas Kafka ? C’était un tchèque qui ne l’était pas. C’était un Juif qui ne l’était pas (sauf de culture, lui qui était autant fasciné par la Kabbale). C’était surtout un écrivain qui ne l’était pas ! Assertion étonnante en effet vis-à-vis d’un homme qui a donné parmi ses plus belles pages à la littérature du vingtième siècle… être écrivain c’est envisager son travail comme un art, c’est s’imaginer que l’on sera lu, et c’est enfin désirer survivre à sa mort par ses écrits. Kafka, lui, a d’abord conçu l’écriture comme une échappatoire de sa vie de juriste, une échappatoire de sa vie de fils, une échappatoire de sa vie de citoyen. En somme, une échappatoire au « vide »… et c’est là que l’on voit poindre l’influence de la mystique juive, elle qui parle de  Tikkoun olam, de réparation d’une injustice de la société, une vaine tentative de s’échapper du chaos.

Mais le gouffre possède son magnétisme. Il a voulu y retourner. Le gouffre représentait un infini qui l’appelait. Il avait regardé au fond des abymes. Les abymes aussi s’étaient mis à regarder au fond de lui.

Il y avait du Rimbaud en lui. Les deux ont voulu fuir leurs œuvres. Mais le jeune Arthur avait des semelles de vent, le jeune Franz, lui, des semelles de plomb.

Après Kafka, c’est le nazisme, le communisme, l’économie de marché, les droits de l’homme que l’on exporte à coups de canon ! Kafka était un Moïse qui préféra regarder la « terre promise » du progrès de loin, sans jamais la fouler.

Pourquoi lire Kafka ? Parce qu’il a écrit des livres qui, pour emprunter ses propres mots, « nous réveille d'un coup de poing sur le crâne » !


MKSabir

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