« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Wednesday 23 March 2011

Le terrorisme n’existe pas

Le terrorisme n’existe pas

     À première vue, ce titre pourrait faire penser à Baudrillard, pour qui la « Guerre du Golfe n’a pas eu lieu »… cela renverra aussi vers le tableau de Magritte : Ceci n’est pas une pipe.

     Je me placerai tant sur le terrain de la philosophie à travers Berkeley (esse est percipi), que sur le terrain de l’œuvre d’art comme le fait Heidegger dans Qu’appelle-t-on penser ? pour asséner cette vérité sémiologique : il n’existe pas de terrorisme, au même titre qu’il n’existe pas de licornes ou de sirènes.

      Avant de discuter du fond de cette problématique, discutons-en d’abord la forme, c’est-à-dire, de savoir s’il est possible aujourd’hui de déclarer une telle chose, de décréter l’inexistence d’un concept, d’une notion.
     Le nœud gordien est de savoir s’il s’agit ici, pour parler comme Kant, de ‘noumènes’ ou de ‘phénomènes’ ?

     Discutons-nous de fait ou de sémiotique ?

     S’il s’agit de fait, on me taxera de ‘révisionniste’ ; tomberais-je alors sous le coup de la loi ? A priori, non, puisque les seuls faits que l’on n’a pas le droit de remettre en question sont ceux concernant la Seconde Guerre mondiale. En effet, si je remets en cause le massacre des Carthaginois par les Romains lors de la troisième guerre punique, alors que ces faits sont allégués historiquement, je n’ai à m’inquiéter d’aucune retombée pénale (alors même qu’étant donné la démographie de l’époque, les morts qui découlèrent du fait que la cité punique fut rasée peuvent s’apparenter aux millions de morts du nazisme).
    Toutefois, étant juriste de formation, je sais aussi que le droit est écrit par les vainqueurs et qu’il sert à pérenniser un certain rapport de puissance donné. Ainsi, dans le droit, comme en France, tout est possible !

     D’où la question de la liberté d’expression qui mérite d’être abordée en forme de prolégomènes ici.

     Peut-on tout dire ? Chomsky faisait remarquer que la liberté d’expression n’avait de sens que si elle s’appliquait aux idées que l’on abhorrait. Certes, d’aucuns diront qu’il prêchait pour sa paroisse étant donné que lui-même a fait les frais du politiquement correct à cause d’une pétition qu’il avait signée en faveur de la liberté d’expression de Faurisson, et cela, sans même prendre connaissance des opinions qu’arborait le négationniste, étant donné que c’est le principe que le professeur du MIT défend et non les thèses affichées.
     Mais même Chomsky est enclin à reconnaître que la liberté d’expression devrait avoir des limites ; en fait même le plus féroce défenseur du premier amendement de la Constitution américaine dira, défendra, sans doute en forme de caution justement au fait de pouvoir dire tant de choses, que, par exemple, la liberté d’expression ne doit pas permettre quelqu’un à appeler au meurtre.
      Toutefois, une telle limitation ne relève pas de la morale mais d’une part, de la ‘moraline’ comme aurait dit l’auteur de La Généalogie de la morale, et d’autre part, de la ‘Doublethink’ comme l’avait envisagé déjà Orwell dans 1984.

      Pourquoi de la ‘moraline’ ? Tout simplement parce que la plupart des êtres n’ont pas de penchant pour la « totalité » ; ils s’autocensurent, s’autolimitent, déchirés qu’ils seraient par tant de radicalité à  émettre une opinion qui serait d’une logique jusqu’auboutisme.
     J’ai employé à dessein le mot de « radicalité », car comme le relevait Marx, un radical est une personne qui prend les choses « à la racine » ; mais ce travail généalogique, qu’avaient entrepris tant Foucault que Nietzsche, en refroidit plus d’un, car les valeurs des gens procèdent du même processus que le blanchiment d’argent sale.
      Dans son livre de Finance Criminelle, Dupuis nous dit : « La typologie classique présentant le blanchiment d’argent sale distingue trois phases successives. Au cours du placement, l’argent est introduit dans le système financier ; la phase d’empilage consiste à accumuler de nombreuses transactions pour réduire la traçabilité des fonds ; ce qui rend possible leur intégration finale sous forme d’investissements dans des secteurs variés ». Pour que les valeurs en lesquelles nous croyons demeurent sacrées, de même que l’argent utilisé paraisse légal, il faut que leurs origines ne puissent pas être remontées, sinon, on découvre que c’est de l’argent sale… sinon, on découvre que ce sont des valeurs diachroniques.

     Pourquoi ‘Doublethink’ ? De quelle ‘Doublepensée’ est-il donc question ici ? C’est que les gens (que ce soit la plèbe ou l’intelligentsia) ont tendance à éliminer les contradictions inhérentes dans leurs systèmes de valeurs. Ils vivent ainsi plus paisiblement. Ils sont dès lors plus « équilibrés ».
     Schrödinger, lors de sa célèbre expérience de l’esprit de la physique quantique pose sa théorie de décohérence, qui permet au chat d’être à la fois mort et vivant- deux états se superposent.
     Voilà la marque de l’esprit français : pire que l’INcohérence, c’est la DÉcohérence- le Français arrive à nourrir deux pensées qui sont mutuellement exclusives.
     Le Français est la preuve vivante que des univers parallèles existent. 
     Le petit chat est mort… et vivant à la fois.

     Et cette ‘Doublepensée’ est justement ce qui est à l’œuvre à la fois tant en ce qui concerne le principe de la liberté d’expression qu’en ce qu’il s’agit de définir la notion de terrorisme.

     La liberté d’expression doit-elle nous permettre d’appeler au meurtre d’une ou plusieurs personnes ? Je ne répondrai pas oui OU non, mais à la fois oui ET non ; cependant, aujourd’hui, la liberté d’expression nous PERMET de faire des appels au meurtre… du moins, au meurtre de ceux que l’on considère comme des ‘sous-hommes’, majoritairement des non-chrétiens, des non-occidentaux, et des personnes qui ne se trouveraient pas sur le territoire de l’Europe de l’Ouest, de l’Amérique du Nord, de l’Australie et du Japon.
     En effet, si je suis en France, je n’aurais pas le droit d’appeler au meurtre de mon voisin, mais j’aurais toutefois le droit d’écrire une tribune où j’appellerai à faire la guerre à l’Iran ou à la Corée du Nord, voire au Pakistan ou de tout autre pays se trouvant à l’Est de la Volga… on me traiterait peut-être d’impérialiste, peut-être même de colonialiste, mais on ne me poursuivrait pas en justice.
     Mais où est cette maudite différence ?  Mais il faudrait même ici sans doute parler plutôt de ‘différance’, au sens où l’entendait Derrida, c’est-à-dire, que l’on ne « diffère » pas seulement de la définition d’un mot mais qu’on la « défère ».
    Ainsi, la ‘différance’ c’est que l’éloignement spatial et culturel nous amène à déshumaniser l’autre et nous ne lui appliquons ainsi pas les mêmes principes qui nous régissent.
     Certains pourront arguer qu’une tribune prônant la guerre contre l’Iran n’est pas un appel au meurtre stricto sensu.  On ne fait pas la guerre sans qu’il y ait des morts. Oui, répondront-ils avec toute la mauvaise foi qui les caractérise, mais les morts ne sont qu’un moyen et non le but. Mais dans ce cas, il en va de même de tout meurtre. On considère que telle personne de notre pays représente un danger pour la démocratie et on appel à le liquider.
    Le « meurtre », juridiquement, est un homicide volontaire, c’est-à-dire, qu’il est perpétué avec l’intention de donner la mort. Quand on lâche des bombes, avec quelle autre intention le faisons-nous sinon celle de donner la mort.
    Oui, mais ces morts ne sont pas des innocents, gueuleront-ils ! Et qui décide de l’innocence de citoyens d’un autre pays ?
     Oui, mais les dommages collatéraux, ça existe. Si les dommages collatéraux sont « acceptés » et « envisagés », ils perdent leur caractère « collatéral ».

     Mais comme le faisait remarquait Pascal avec une diabolique lucidité : « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force. » Ainsi, n’appelez pas au meurtre de votre voisin, mais signez autant de pétitions que vous voudrez pour qu’une nation en envahisse une autre !

    Autre exemple où la Doublepensée s’est déployée avec brio, c’est le cas des Harkis, dont on nous rebat les oreilles de temps à autres ; on s’apitoie sur leurs sorts, on passe des documentaires. En somme, ils sont devenus une cause à la mode, comme ça a pu être le cas auparavant avec les bébés phoques ! Sauf que s’il est de bon ton de pourfendre le méchant gouvernement français pour avoir mal accueilli les Harkis après la guerre d’Algérie, il serait mal vu de crier haut et fort qu’on est pour l’Algérie française… alors que les deux reviennent à la même chose !
    En effet, reprocherait-on à l’Allemagne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de ne pas accueillir à bras ouverts les Français qui ont collaboré avec les nazis ? Que sont après tout les Harkis sinon des « collabos » ? Les Harkis sont à la France ce qu’étaient les Français à l’Allemagne : des collaborateurs du régime occupant.
      Idem en ce qui concerne ce film si affligeant, Indigènes, réalisé qui plus est par un musulman, sans doute anticolonialiste, interprété aussi par des acteurs d’origine maghrébine, et qui sans doute sont anticolonialistes ; ce film dépeint des soldats qui combattent pour un pays qui occupe leurs terres contre un autre pays qui occupe leur puissance occupante. Encore une fois, ça revient à défendre des Français qui combattraient dans les troupes allemandes pendant la Seconde Guerre, contre mettons les Russes ou les Américains !
     Le pire, et c’est ce qu’il y a de plus affligeant et de fait de plus désespérant, c’est que ceux qui défendent les Harkis ou ceux qui ont participé à ce film ignoble, le font en toute bonne foi. Ils sont sincèrement aveugles. Car ce serait une excuse qu’ils soient véritablement colonialistes et racistes (c’est la même chose), car chacun a le droit d’exprimer ses opinions, y compris des opinions suprémacistes, mais de se tromper en toute honnêteté, c’est due à une structure mentale faible et, comme l’amour physique dans la chanson de Gainsbourg, cela est sans issue.

    


   Venons-en maintenant au « terrorisme ».
   Qu’est-ce ? Un mot, et rien de plus. Et les mots, comme le soulignait Nietzsche, sont comme les monnaies, ils ne servent qu’à l’échange. Quand on converse, on ne fait ni plus ni moins que du troc.

     Au commencement était le mot, et le mot était auprès du réel, et le mot était le réel.

     « À l’aube profonde du déploiement de son être, la pensée ne connaît pas le concept », nous dit Heidegger dans Was heisst denken ? et le philosophe de Fribourg dit encore dans le même ouvrage que ce qui demande à être pensé se détourne de l’homme, que la pensée se retire devant lui. Ce dont se préoccupe Heidegger, et ce qui a, avant lui, préoccupé Guillaume D’Occam, Thomas d’Aquin, Platon, voire Héraclite, c’est ce qui nous préoccupe aussi ici, c’est la possibilité de décrire la réalité des concepts.

    On entend dire : « Le terrorisme a frappé ». Cette phrase est-elle correcte ? Qu’est-ce donc qui peut frapper ? On peut dire : « La foudre a frappé ». Cette phrase-ci est-elle correcte ? Qu’est-ce que « la foudre » ? La foudre nous dit Wikipédia (eh oui ! il faut vivre avec son temps) est un phénomène naturel de décharge électrostatique disruptive qui se produit lorsque de l'électricité statique s'accumule entre des nuages d'orage ou entre un tel nuage et la terre.
     La foudre est donc avant tout un phénomène. Pour Kant, le ‘phénomène’ est l’antithèse du ‘noumène’ qui lui est insaisissable par la seule expérience. De même, pour le fondateur de la phénoménologie, le noumène est à la frontière de la raison, c’est une sorte de papillon de Zhuangzi. Donc, pour Kant comme pour Husserl, la foudre peut être comprise par les aptitudes de la raison et de l’expérience. Auraient-il pu en dire autant pour le ‘phénomène’ du terrorisme ?
    Pour que tel fut le cas, il faudrait que toute personne, quel que soit l’horizon d’où elle provienne, soit d’accord pour dire : « Ici, le terrorisme a frappé ». Mais on en est loin. En effet, ce que l’on qualifie de « terrorisme », c’est la lutte du faible contre le fort, et on appelle ‘lutte contre le terrorisme’ la lutte du fort contre le faible.
    Ainsi, poser des bombes dans le métro, c’est du terrorisme, mais lâcher des bomber depuis des F-15, c’est de la lutte contre le terrorisme. C’est Brutus qui prétendit qu’il n’avait pas assassiné un homme mais libérer Rome d’un tyran.
    Encore et toujours une question de perspective.

    Hiroshima et Nagasaki furent des luttes contre l’impérialisme japonais mais pas des crimes de guerre ou des actes de terrorisme.
    Les résistants français qui posent des bombes dans des cafés où se trouvent des officiers nazis, quitte à tuer quelques innocents français, ce fut une lutte de libération contre la tyrannie nazie, mais pas des actes de terrorisme.

    Le droit, comme l’histoire, comme les concepts, sont écrits par les vainqueurs.

    Qu’est-ce donc que le terrorisme ? Est-ce comme les fous, c’est-à-dire que les fous ne se considèrent jamais comme fous et ne sont qualifiés de tels que par les autres ? Le terroriste est-il un « soi-disant » terroriste, dans le sens où il se prétendra lui-même terroriste ? Est-ce qu’il se dit, le matin en se levant, et avant de prendre le bus pour poser des bombes : « En cette belle matinée, je vais commettre un acte terroriste » ? Ou se dit-il plutôt : « Aujourd’hui, je vais apporter ma pierre à la libération d’un peuple » ? Ou encore « Ce soir, je vais combattre les impérialistes » ?
    Le terrorisme doit-il s’analyser d’un point de vue moral ? Ce n’est pas bien que de tuer des civils innocents. « Civils innocents » est-il un pléonasme ? Un civil est-il toujours innocent ?
    Un civil est celui qui ne porte pas les armes. Tous ceux qui ne sont pas militaires sont des civils. Mais un civil qui paie ses impôts et qui contribue ainsi à l’effort de guerre de son pays à fabriquer des bombes qui pleuvront sur d’autres pays est-il un civil innocent ?
    Peut-on ne pas payer d’impôts ? La désobéissance civile, ça existe, Thoreau et Gandhi l’ont bien prônée. Sauf que si les gens ne le font pas et se contentent de manifester dans les rues, sans prendre des mesures plus radicales, c’est qu’en fin de compte ils se désintéressent du sort de ceux qui mourront par la faute de leur pays. Ils ont rempli leur cahier des charges. Ils s’en reviennent des manifestations la conscience tranquille.
    Ainsi, le « civil innocent » victime du méchant terroriste est l’étranger qui se trouve dans un pays au moment où un attentat est commis, car lui, n’a rien à voir avec la politique étrangère du pays où il se trouve. On peut toutefois, si on suit la logique jusqu’au bout, soulever le fait que même le touriste, étant donné qu’il dépense son argent dans ce pays, contribue à son économie, et donc à l’effort de guerre et n’est donc pas si innocent que ça.

   Donc, logiquement, les seuls « civils innocents » sont ceux qui se trouvent dans un pays non-démocratique puisqu’ils n’ont pas élu leur gouvernement et ne sont donc pas responsable de sa politique étrangère.

   Pourquoi une telle idée est-elle aussi insupportable et ne sera pas admise, ne PEUT PAS être admise ? Parce qu’en dépit des trois révolutions intellectuelles amorcées (et des trois blessures narcissiques infligées) par Copernic, Darwin, et Freud, parce qu’en dépit des travaux des Lévi-Strauss et autres Malinowski, l’humain n’arrive pas à se ‘décentrer’. Le barbare est toujours l’Autre. Celui qui parle a toujours de son côté la morale. Se produit une sorte de ‘déterritorialisation’, pour parler comme Deleuze. Et c’est l’espace laissée par cette déterritorialisation dans laquelle se faufile le terroriste et qu’il finit par occuper, tant les autres l’ont conforté dans cette propriété, comme propriétaire légitime.
    Le terroriste est donc toujours l’Autre, pour la simple et bonne raison qu’il est un Autre. Mais il n’est pas l’Autre au même degré où le barbare était l’Autre pour les Grecs anciens, car les peuples barbares ne se considéraient pas eux-mêmes comme barbares (puisque dans la Grèce antique, sont barbares tous ceux qui ne parlent pas Grec) ; aujourd’hui, tous les pays, ou presque, y compris les pays musulmans, voient des terroristes.
    Ainsi, le terroriste n’occupe pas la place de barbare. Le terroriste occupe la place que peut occuper un croque-mitaine. Tout comme on effraie les enfants avec un tel personnage, « Attention, si vous n’êtes pas sages, le croque-mitaine viendra vous prendre », on effraie le bon peuple, « Si vous ne votez pas telle ou telle loi liberticide, les terroristes vont encore frapper ».

    Comme dans la Rome antique, dans les temps de crise, où un ‘dictateur’ était nommé détenant les pleins pouvoirs, aujourd’hui, le ‘terrorisme’ est agité afin de conférer à des politiques qui disposent déjà de pouvoirs d’exception (qui, comme l’avait noté Carl Schmitt, est le propre de l’État souverain) une magistrature extraordinaire, et tout comme jadis on criait « Hannibal ad portas ! », aujourd’hui, dans les médias, ce que l’on entend, c’est « Les terroristes sont à nos portes ! »
    Les « terroristes » emploient en fait uniquement la même tactique que celle employée par Scipion l’Africain contra Hannibal ; alors que ce dernier faisait les frais des « délices de Capoue », le général romain décida de porter la guerre sur les terres africaines.

    Il est important de revenir un instant sur la problématique des dommages collatéraux, puisque c’est, selon les biens pensants et selon les chantres de la guerre des civilisations, ce qui distingue le phénomène terroriste des guerres conventionnelles.
    Quand Alexandre le Grand rase Thèbes au son des flutes et où tous les habitants sont soient passés au fil de l’épée soit réduits en esclavage, il ne lui viendrait pas à l’esprit de parler de ‘dommages collatéraux’ ; les anciens étaient peut-être des conquérants sans scrupules, mais au moins ne faisaient-ils pas preuve de ce cynisme si malsain qui caractérise nos dirigeants d’aujourd’hui. En fait, le terme remonte à la Guerre du Vietnam et fut utilisé, comme on peut s’en douter, par les Américains pour justifier et excuser la perte de vies civiles lors de bombardements. Dans son livre, The Iraq War: strategy, tactics, and military lessons, Volume 2003, Part 2, Anthony H. Cordesman écrit : « And if somebody has a hope that we're going to go into a conflict and nothing is going to happen in terms of collateral damage, unintended damage or civilian casualties, I think you should absolve yourself of that hope because that probable is not a realistic expectation. »
      Donc, les dommages collatéraux ne constituent pas une variante mais bien une constante au sein de l’équation polémologique. Toutefois, on pourrait recourir à cette notion si on était réellement prêt à l’accepter jusqu’au bout. Ainsi, prenant un exemple in concreto.
    Je dis : « Des terroristes se cachent dans tel immeuble de telle ville de tel pays. Des terroristes qui pourraient frapper votre pays. Alors même que votre pays a envahi le leur. Pour les abattre on va lâcher une bombe sur l’immeuble en question. Toutefois, les immeubles adjacents pourraient être touchés causant la mort potentielle de certains de ces habitants. Les chances que la déflagration touche les immeubles adjacents sont, disons, d’une chance sur 6. »
    Beaucoup de gens, et pas seulement les militaires mais aussi les citoyens lambdas, diront que le jeu en vaut la chandelle. Lâchons la bombe et tentons la chance. Après tout, il faut se débarrasser des terroristes, d’autant plus que le risque de victimes civiles n’est que d’une chance sur 6.
    Allons jusqu’au bout du raisonnement. Je vous amène une jeune fille de mettons neuf ans (un enfant car, dans ce monde gangréné par le politiquement correct, la vie d’un enfant vaut plus que celle d’un adulte, et celle d’une fille plus que celle d’un garçon) et je vous présente un pistolet et vous dis que dans le barillet, il n’y a qu’une balle. Je vous demande de placer le canon sur la tente de la jeune fille et vous dis que si vous appuyez sur la gâchette, ces mêmes terroristes décrits plus haut seront tués. Il y a donc une chance sur six pour que la jeune fille meure.
    Le faites-vous ?
    Si vous avez répondu oui à la première situation envisagée, en toute logique, et si l’homme était un animal bona fide, vous devriez aussi répondre oui à la seconde.
    Mais étant donné que c’est la Doublepensée qui trône en maitre incontesté dans les cerveaux, peu d’entre vous seront enclins à prendre le risque de voir la cervelle de la jeune fille repeindre vos murs.

    Les lâches intellectuellement et les hypocrites moralement, les philistins de la pensée, crieront : donc, il nous dit que tous ceux qui sont morts dans des attentats ne le sont pas puisque le terrorisme n’existe pas. Les événements existent. Les bombes explosent et les hommes et les femmes meurent. Mais ils ne meurent ni plus ni moins que ceux sur la pomme desquels tombent des bombes téléguidées à des centaines de kilomètres dans des guerres orchestrées par des nations dites ‘civilisées’.
    Il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises victimes, et celles-là, comme l’a fait remarquer à juste titre Tododrov, ne font pas la différence entre des bombes totalitaires et des bombes humanitaires.
    Le réel, c’est ce qui continue d’exister une fois qu’on a cessé d’y croire, disait P. K. Dick. Et le réel, ce sont les cadavres. Quand bien même on cesse de ‘croire’ au terrorisme, les gens continueront à mourir à cause « d’attentats ». Mais ils mourront au même titre que tous ceux qui meurent au nom de guerres dites humanitaires.

    Mais je ne me fais aucune illusion sur le fait que tout ce que j’ai bien pu écrire plus haut sera entendu. Oculos habent et non videbunt, aures habent et non audient.
    Et puis, si l’on venait à accepter le fait que la liberté d’expression doit être totale, que les hommes qui posent des bombes dans des trains sont autant coupables que ceux en uniformes qui vont combattre à des milliers de kilomètres de chez eux, et que dans un État démocratique chaque citoyen est responsable de la politique extérieure de son pays, cela rendrait notre vie intolérable.
    Considérer l’Autre comme notre égal, en vie et en mort, est inacceptable.

    C’est bien Brassens qui avait raison : les bonnes gens n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux.


   Le « terrorisme » a été essentialisé, platonisé !
   Tout comme pour Héraclite, ποταµο.σι το.σιν α.το.σιν .µ.αίνουσιν .τερα κα. .τερα .δατα .πιρρε... κα. ψυχα. δ. .π. τ.ν .γρ.ν .ναθυµι.νται, de même, nous appliquons et nous n’appliquons pas les mêmes termes, car, puisque selon Plutarque, on ne peut pas saisir dans le même état une réalité mortelle.
    Le terrorisme est ce qui se produit à côté, par l’Autre, et non ce que nous commettons ici, nous-mêmes.
    Il n’y a pas d’idée (au sens de Eidos) du terrorisme, idée universelle et parfaite. Le mot « terrorisme » renvoie à des signes généraux et non à une idée universelle qui existerait ante res alors qu’elle existe post res. Il n’existe point séparément une entité concrète et une essence de l’homicide correspondant au nom « terrorisme ».
    Par contre, en disséquant les différents éléments d’un comportement, d’un habitus ou d’un fait social, en élément matériel et élément intentionnel, les définitions se calquent sur des comportements qui proviennent du réel pour les cristalliser en droit positif. 

    La définition du terrorisme ne doit pas être un postulat au sens de ceux des éléments d’Euclide, mais une donnée, étant en même temps géniteur et descendance de la société. La définition du terrorisme ne décrit le réel seulement au sens où cette même définition n’Est pas, mais Existe. 

    Le terme de « terrorisme » est le reflet d’une Société S dans un temps t. La définition comme la morale, est évolutive, et ce que Nietzsche a montré dans Zur Genealogie der Moral. Eine Streitschrift vaut aussi pour les définitions ; il existe une généalogie de la définition comme il en existe une pour la morale ; ainsi, le réel que décrivent les définitions a un encrage temporel s’analysant de manière diachronique, et comme l’a signalé Heidegger à propos de l’être, nous pouvons dire que le temps est la fonction de la définition. La définition est un In-der-Welt-Definition, il est une définition-dans-le-monde ! 

     Il y a la physique quantique. Il y a le terrorisme quantique. L’observation déforme le phénomène observé et le sur-crée.
     Le chat et mort et vivant.
     Le terrorisme existe et n’existe pas.



Sabir Kadel©2010

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