« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Thursday 15 September 2011

9/11 : CREDO QUIA ABSURDUM

     Je crois parce que c’est absurde. C’est ce que qu’aurait répondu Saint Augustin quand on lui avait demandé pourquoi il croyait en Dieu. Certains attribuent cette citation à Tertullien. Qu’importe ! le fait demeure qu’il est dans l’essence des gens de « croire » et que toute croyance est absurde. La croyance se distingue de la connaissance dans le fait que cette dernière s’appuie sur un phénomène de réflexion et de déduction alors que la première répond juste à un besoin de confort psychologique. La croyance c’est comme les baffes chez Obélix, qui frappait d’abord les Romains pour ensuite leur poser des questions ; les gens se font des films de certains événements, et essaient ensuite, maladroitement, de raisonner rétrospectivement et trouver des idées qui viendraient appuyer leurs opinions préalablement formées. Mais celles-ci sont de l’ordre de la génération spontanée dont la seule essence est d’exister. Sans aucun contact avec le réel. Nous avons assassiné le réel, comme aurait dit Baudrillard, et l’avons remplacé par du simulacre. Les assassins du réel, de la vérité, ces « aletheicides », ont érigé un temple où des dieux invisibles sont adorés, qui portent les doux noms de « démocratie », « droits de l’homme », « liberté » ou encore « laïcité », dieux qui ont comme prophète Platon et comme grand-prêtre saint Paul, et où tous ceux qui pensent différemment sont des « barbares ». Nous sommes ainsi revenus à l’époque romaine, le panache en moins.
     Dix ans déjà que deux avions de ligne sont venus s’écraser dans des gratte-ciels new-yorkais. Tous ceux qui surfent sur internet faisant croire qu’ils font des recherches professionnelles alors que la majeure partie du temps ils le passent sur Facebook, sur des sites pornographiques ou des jeux en ligne ont, à un moment ou un autre, rencontré ce que l’on qualifie couramment de « théories du complot ». D’aucuns prétendent en effet que les attentats du 11 septembre ont été orchestrés par les États-Unis même. Bien d’autres théories conspirationnistes gravitent autour de cet événement, mais pour les besoins de cette démonstration nous nous cantonnerons à celle qui vient d’être énoncée. Mon avis personnel (en fait il n’était pas nécessaire d’ajouter « personnel » puisque tous les avis le sont, surtout quand ils sont précédés d’un pronom possessif) c’est que les attentats ont été perpétrés par Al-Qaïda, sans que les États-Unis y soient pour quelque chose. Je pense cependant que l’Amérique en a bien profité, tout comme Israël a profité du nazisme sans quoi l’État hébreu n’aurait pas pu voir le jour en Palestine, et je pense surtout que je peux avoir tort ; que si les États-Unis n’y sont pour rien, ils auraient pu, étant donné leurs antécédents, manigancé tout ça eux-mêmes. Après tout, ils ont bien menti pour pouvoir envahir l’Irak ! Je demeure donc ouvert sur la question, et je conçois que certaines personnes puissent penser différemment de moi, et le jour où l’on m’apportera la preuve que j’ai tort, je serais enclin à changer d’avis.
    Cependant, pour que cette preuve soit apportée, encore faut-il pouvoir débattre librement de la question. Certains sujets sont « black-listés » médiatiquement. On ne peut pas dire par exemple que le réchauffement climatique n’existe pas ou même, s’il existe bien, qu’il ne soit pas le fait de l’homme. Et surtout, on ne peut pas dire ouvertement : « Non ! je ne crois pas à la version officielle sur les attentats du World Trade Center ». Il est vrai qu’il existe un fort faisceau de présomptions allant dans le sens de la version officielle, et qu’il n’existe aucune preuve flagrante qui viendrait appuyer les dires des « conspirationnistes » ; mais comme on le sait, l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, et certaines zones d’ombre planent encore. Mais surtout, comme il a été souligné plus haut, il n’existe aucune raison de croire un État, ou une personne en générale. Comme savent tous ceux qui ont déjà regardé la série américaine Dr. House : tout le monde ment. Mais comme j’ai peur que de prendre comme référence un médecin imaginaire, misanthrope et cynique ne soit pas considéré comme très sérieux pour ce qui concerne une analyse d’attentats « terroristes » (tout comme le barbare c’est toujours l’autre, le terroriste aussi ne peut être que l’autre. De même, on est toujours le con de quelqu’un ou le terroriste de quelqu’un), je convoquerai Foucault à la discussion.
     L’auteur de L’archéologie du savoir et de L’Histoire de la sexualité nous parle de la « Paresia ». Sans entrer dans de doctes commentaires, il suffit de dire que pour Foucault, mais c’est là simplifier je le concède, c’est le courage de se mettre en danger par la parole. Ainsi, un étudiant qui aurait triché à ses examens et qui l’avouerait serait dans une telle situation, ou encore un conjoint infidèle qui confesserait son adultère à son époux sachant que celui-ci peut le quitter. Ce n’est que dans ce genre de situation que l’on peut prendre pour argent comptant la parole de quelqu’un : uniquement si cette parole peut vous nuire. Mais si un politicien vient dire au peuple, par exemple : « Je n’ai rien à voir avec des emplois fictifs » ou « Nous ne sommes pour rien dans ces attentats, les responsables, c’est ‘eux’ », quelle raison a-t-on de les croire, car, eurent-ils été responsables, l’auraient-ils admis ? La réponse est bien entendu non ; il est donc normal, voire logique, de douter de la parole de quiconque qui dirait quoi que soit qui jouerait en sa faveur.
    Mais le plus aberrant reste à venir. Les mêmes personnes qui refusent la parole aux conspirationnistes donnent souvent une libre antenne à des gens qui professent une chose encore plus improbable que celle qui veut que les États-Unis soient à l’origine de ces attentats. En effet, alors qu’on ostracise celui qui osera dire « Tiens ! c’est bizarre que de telles tours s’effondrent uniquement parce que des avions les auront percutées » on laisse s’exprimer quelqu’un qui dira : « God bless America », alors qu’il y a davantage de chance pour qu’il y ait effectivement un complot autour du 11 septembre que de probabilités pour que Dieu existe. Toute la pensée occidentale des deux derniers siècles est orientée vers une sortie de la religion, et la philosophie des 2500 dernières années devrait nous encourager à raisonner plutôt qu’à « croire » ; toutefois, retransmettre des messes à la télévision où l’on parle d’un gars qui aurait changé l’eau en vin est acceptable, mais daignez mettre en doute la version officielle fournie par un État colonisateur, amoral et qui a déjà menti au monde entier comme à son propre peuple, et vous êtes un paria, un idiot, un danger pour la démocratie !
     Ground Zero est devenu, comme dirait Mircea Eliade, un Axis Mundi, un  lieu hiérophanique par excellence ou le « sacré se manifeste » ; cette irruption du sacré créé un point fixe où gravite toutes les valeurs. De même qu’on pensait que le soleil tournait autour de la terre, on pense aujourd’hui que la morale tourne autour de Ground Zero. En somme, nous sommes revenus à avant Galilée. La vérité est que les images des avions s’écrasant dans les tours jumelles ont été le prétexte à une guerre que non seulement les néo-conservateurs désiraient (pendant la présidence de Clinton, Perle avait envoyait une lettre à ce dernier l’enjoignant de renverser Saddam Hussein et d’envahir l’Irak) mais dont l’Amérique, en tant qu’entité, avait besoin. Déjà, le citoyen Hearst pratiquait le Storytelling ! Et cette pratique est plus que jamais de mise après le 11 septembre, Bush demandant à Fox News : Dessine-moi une guerre !
     Après ces attentats, une vision eschatologique et théologique se dessine, mais qui était déjà en germe depuis la guerre froide, sous la forme du discours de G. W. Bush lors de son « State of Union address » en 2002 ; en effet, ce jour-là, il parle de « l’axe du mal ».  Cette expression que l’on doit au néo-conservateur David Frum devait d’abord être « axe de la haine » mais Bush l’a changé en « axe du mal » afin de faire écho aux « puissances de l’axe » que constituaient l’Allemagne, l’Italie, et le Japon pendant la guerre 39-45 (les anciens égyptiens expliquaient les mythes par des jeux de mots- aujourd’hui, les jeux de mots servent à expliquer les guerres, à les bricoler. Plus que jamais, Barthes a raison : la langue est fasciste)… Déjà, Truman désignait l’Union Soviétique de puissance du mal ; on peut ainsi constater un fort référent historique et religieux dans une telle expression !
     Mais l’énonciation « Axe du mal » est une phrase performative. Elle donne aux pays qu’elle désigne un statut nouveau, à la fois aux yeux de ladite communauté internationale, mais aussi pour eux-mêmes, qui se posent de facto en opposition à celui qui les a rangés dans cette catégorie.
     Bush déclare au Congrès le 20 septembre 2001 : ceux qui ne sont pas avec les Américains sont contre EUX ; mais il ne faut pas tomber ici dans le piège inverse, et adopter une vision manichéenne, en faisant des Américains, les méchants, voulant être le loup dans le poulailler moyen-oriental ; mais c’est presque une raison déterministe qui fera que ce sera ainsi ! Un vide tend toujours à se combler ; et comme le dit Hérodote, jamais aucun État qui a eu en sa possession les pleins pouvoirs n’a pas utilisé pleinement ces pouvoirs ! Une puissance est tout le temps utilisée de manière maximale, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, ce qui permet dès lors la chute d’anciens empires et la naissance de nouveaux.
     On se plait à croire que les motivations de Bin Laden étaient religieuses et non pas politiques, alors qu’il se trouvait juste, accidentellement si on peut dire, être musulman (on ne vas pas discuter de ce que c’est qu’être un bon musulman, sans quoi ce serait essentialiser la religion et pire, la légitimer) ; George Bush évoquait bien Dieu dans ses discours, on ne va cependant pas mettre l’invasion de l’Irak sur le dos du petit Jésus. On se complait à penser que le « terroriste islamiste », ce croque-mitaine post-moderne, est différent du terroriste de l’IRA ou de l’ETA et on s’interroge alors sur ce qui peut bien se passer dans son cerveau, tandis qu’on trouve normal que des jeunes de dix-huit ans rejoignent les Marines et aillent combattre dans un pays qu’ils n’arrivent même pas à situer sur une carte, et tuer des gens dont ils ne savent rien. On fulmine contre le racisme, on trouve qu’il n’y a rien de plus détestable, on abhorre un créateur de mode qui a tenu des propos antisémites, mais on pleure toutes les larmes de son corps sur les victimes américaines de ces attentats et on fait gentiment abstraction des victimes des Américains en Afghanistan et en Irak. On ne connait que ce que l’on re-connait ! Enfin, on a beau condamner la peine de mort, mais l’assassinat, c’est-à-dire l’homicide avec préméditation, de Bin Laden n’est pas pour choquer grand monde. De même que les drones qui assassinent les Talibans alors qu’on crierait au fascisme si la police nationale tirait à la lance-roquette sur une maison qui abriterait des braqueurs de banques ou même de supposés meurtriers. Ce qui est immoral chez nous l’est moins sous d’autres cieux. Wagner débutait son Parsifal par : « Allons dormeurs, réveillez-vous ! »
     À l’heure où l’on se contente de comprendre Hegel à travers l’analyse de Kojève qu’en font un Fukuyama ou un Huntington, lui-même disciple de Leo Strauss (détracteur de Nietzsche et grand pourfendeur du relativisme culturel), et qui nous a rebattu les oreilles d’un prétendu « Choc des civilisations », il serait bienvenu de relire, ou de lire pour la plupart, John Stuart Mill et son magnifique et ô combien moderne essai On Liberty, où l’utilitariste britannique, bien avant la Cour Suprême américaine, chante les louanges de la liberté d’expression, la seule qui différencie le civilisé du barbare. Il y a la « liberté », celle que les gens croient posséder parce qu’ils ont la possibilité de voter et de se faire asservir, cette sensuelle « servitude volontaire » dans les bras de laquelle nous aimons nous abandonner, et puis, il y a ce que Rimbaud appelait la « liberté libre », cette liberté si dangereuse car elle nous fait côtoyer « l’autre ». Mais comme le rappelle Hölderlin : là où est le danger est aussi ce qui sauve.

M. K. Sabir