« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

Unforgiven, de Clint Eastwood

« Le mérite n’a rien à voir dedans ». Cette phrase de la scène finale de ce western crépusculaire n’a jamais cessé de me poursuivre depuis la première fois que je l’ai entendue.

Il y a quelque chose de troublant dans une telle affirmation ; quand vous y réfléchissez, un profond sentiment de malaise vous envahit… vous essayez de vous retenir aussi longtemps que possible, comme un pet que vous retiendriez mais finalement ça sort, et l’odeur qui s’en dégage et nauséabonde ! Oui ! Vous vous posez finalement la question : et si c’était vrai ? Et si dans la vie, ce que l’on gagne et ce que l’on perd, bref, ce qui nous arrive, n’avait rien à voir avec ce que l’on mérite.

Les choses passent inéluctablement.
Il n’y a pas de combat entre le bien et le mal. Pas de guerre entre les forces de la lumières et les forces obscures.
Les choses se passent juste. Inéluctablement.

À quoi cela sert-il alors d’être « bon » ? Peut-on seulement être « bon » ? Ou alors, n’est-ce qu’un mot ? un mot parmi donc ? un mot comme un autre mot, un mot qui n’aurait pas plus de valeur que le mot « miel » ou « table » ?

Serait-il possible de vivre une telle vie quand nos notions les plus élémentaires volent en éclats, que la terre de nos valeurs primordiales, celles-là même qui nous ont construites toute notre vie, se dérobe sous nos pieds ?

Ce film réalisé et interprété par Clint Eastwood, avec à ses côtés un tout aussi remarquable Gene Hackman, n’est pas un western. En effet, un western, comme on l’entend au sens classique, possède des codes bien déterminés : l’incarnation de l’ordre (comme la figure de Wyatt Earp), des ennemis définis clairement (les Indiens ou les braqueurs de banques) et un héros qui fait partie intégrante de la nation et qui défend les valeurs morales de celle-ci (John Wayne). Rien de tout cela dans Impitoyable (le titre français du film) !

Dans le film, personne n’est immoral- chacun possède une bonne raison pour agir comme il le fait ; chacun possède sa part d’ombre et sa part d’innocence.

Quand William Munny place le canon de son fusil dans la bouche de Little Bill et que celui-ci le supplie de l’épargner et lui rappelle qu’il est en train de construire sa maison (ce qui émeut encore plus car on a l’image d’un homme qui a un projet et qui ne se contente pas seulement de vivre) et que Munny, qui avoue avoir tué des hommes, des femmes et des enfants et à peu près tout ce qui marchait, lui lance : « le mérite n’a rien avoir dedans », on bascule alors dans un monde nihiliste et on se retrouve face à nous-mêmes, face à nos démons.

La pensée, la vraie, ne peut être qu’impitoyable.

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