« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

Baudelaire à Maurice

C’est marrant quand même ! Il a suffit que Baudelaire passe à peine trois petits mois à Maurice, qu’il vide quelques bouteilles de rhums locaux, qu’il se tape quelques ‘dames créoles’ pour qu’aussitôt, comme par l’opération du Saint-Esprit, il soit devenu Mauricien à part entière.

Sommes-nous tellement en manque de grands esprits pour qu’on doive en importer de l’étranger ?
Euh… oui ! nous le sommes.

Baudelaire fait partie de ces grands noms qui ont fait escale sur notre belle île esclavagiste ; il y eut aussi, entre autres, Conrad, Darwin, Bougainville ou Sarkozy (cherchez l’erreur). Sans Maurice, il y aurait-il quand même eu Les fleurs du mal, Cœur des ténèbres ou De l’origine des espèces ? Sans doute pas, en tout cas, pas dans la forme dans laquelle on les connaît. Non pas parce que Maurice a eu une si grande influence sur ces hommes, mais tout simplement à cause du phénomène d’attracteurs étranges et que toute personne qui aura vu Jurassic Park connaît sous le nom de théorie du chaos (mais si ! Rappelez-vous, quand le personnage interprété par Jeff Goldblum tente de séduire Laura Dern en lui prenant la main et lui expliquant comment la goutte d’eau sur la paume de sa main suivra à chaque fois une direction différente).

Mais, et c’est paradoxal (ou tout simplement stupide), Maurice, qui se glorifie d’avoir accueilli (pour ne pas dire « recueilli ») le célèbre dandy, n’a pourtant rien fait pour célébrer sa gloire. La maison où il a vécu est une vielle bâtisse délabrée alors qu’elle aurait pu être reconvertie en musée comme c’est le cas souvent à l’étranger où une plaque dit : « ici a vécu Beethoven entre telle date et telle date » ou, par exemple dans le Sud de la France à Eze-sur-mer, une plaque indiquant un chantier qu’avait l’habitude d’emprunter Nietzsche pour ses balades.

Notre pays ne sait pas capitaliser sur ses atouts culturels et préfère au contraire mettre en avant certaines commémorations qui ne peuvent qu’exacerber les luttes communautaires, alors que Baudelaire, lui, appartient au patrimoine mondial de l’humanité.

Comme tous les grands hommes, il s’est affranchi de sa patrie d’origine, ses vers n’ont aucune connotation nationale, ses valeurs ne sont pas ancrées dans une époque, et sa vision est intemporelle et transcende les frontières. Qui donc, mieux que lui, aurait été à même d’appartenir autant à notre pays qu’à la France ?

Mais ce sont les bustes d’esclavagistes qui trônent un peu partout dans le pays. Ce sont les grands maîtres religieux que l’on célèbre tout au long de l’année, c’est des noms de politiciens dont on baptise divers instituts à travers le pays.

Ce qui est vraiment insupportable c’est le révisionnisme auquel se prêtent certains Mauriciens en donnant une interprétation des Fleurs du mal qui aillent dans le sens d’un patriotisme que Baudelaire méprisait. Certains soi-disant écrivains mauriciens pensent en effet que Baudelaire s’est directement inspiré de notre île pour certains vers ; si on peut en effet le supputer à la lecture de, par exemple Une vie antérieure, le soutenir comme un fait comme si Baudelaire avait écrit noir sur blanc en bas du poème : « écrit sous l’influence de Maurice », reflète une mauvaise foi intellectuelle flagrante.

On peut tout faire dire aux morts puisqu’ils ne sont plus là pour contester.

Les poètes ne sont pas faits pour être commémorés, récupérés aux profits de causes nationales ou chantés dans les écoles tels des mantras. Les poètes sont faits pour être lus. Ils sont les intermédiaires entre les Dieux et les hommes.

Dans la tête du poète, rien n’est luxe, calme et volupté. Tout y est crasse, bruyant et saleté.


MK Sabir

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