« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

PARSIFAL, de Wagner

PARSIFAL, de Wagner

De tous les compositeurs, aucun ne m’a influencé autant que Wagner, et de tous les opéras de Wagner, aucun ne m’a touché plus que Parsifal.

Wagner est l’homme de toutes les démesures, de tous les paradoxes et de toutes les incohérences. Ni sa vie, ni son œuvre ne constitue un bloc monolithique ; il a voulu les plaisirs de ce monde comme ceux plus transcendantaux de l’art. Son œuvre est perpétuellement traversée par les événements de sa vie et se déforme au gré de ceux-ci. Pour Ludwig Van par contre, il y a la musique. Et il n’y a qu’elle (même si une fois, il y eut autre chose… mais ceci est une autre histoire). Ainsi, une de ses incohérences a voulu qu’il croit se rapprocher le plus de Schopenhauer, son maître en philosophie, en créant ce Parsifal… mais d’une certaine façon, il y a réussi, du moins, aux yeux de son ancien ami, Nietzsche qui, ayant pris ses distances à la fois avec le penseur de Francfort et le maître de Bayreuth a vu dans Parsifal une véritable abomination.

Je comprends Nietzsche. Et je comprends Wagner. C’est une grande malédiction que de pouvoir comprendre tout le monde, car cela crée à la fois une intimité et une distance toutes deux aussi insupportables l’une que l’autre. Et cela me fait penser, transition facile puisqu’on a parlé de Schopenhauer plus haut, à la théorie de la politesse de celui-ci, aussi appelée la ‘métaphore des hérissons’ : les hérissons doivent se tenir à la bonne distance les uns des autres afin, à la fois assez proches pour ne pas avoir froid en hiver et pouvoir se réchauffer au contact de l’autre, mais aussi en même temps assez loin pour ne pas se piquer les uns les autres.
La politesse, c’est la grande incompréhension de l’Autre.

Nietzsche a lui aussi nourri des sentiments paradoxaux pour Wagner et son œuvre, et cela est surtout flagrant vis-à-vis de cet « abominable » Parsifal ; il écrit à propos du dernier opéra de Wagner : « Il y a des choses semblables chez Dante et nulle part ailleurs ». On a souvent considéré cette phrase comme une appréciation de cet opéra… mais c’est mal connaître celui qui « philosophe avec un marteau ». Comment en effet penser que comparer une œuvre à la Divine Comédie soit un compliment pour l’homme qui annonçait la « mort de Dieu » ?

Mais en même temps, après en avoir entendu pour la première fois le prélude à Monte-Carlo en janvier 1887, il écrit dans une lettre à son ami Peter Gast : « (…) Wagner n’a-t-il jamais écrit quelque chose de mieux ? » et un mois plus tard, il écrit à sa sœur : « Je ne peux pas y pensé sans être violemment secoué, tant cette musique m’a élevé et ému », et enfin, on peut lire dans Le cas Wagner : « j’admire cette œuvre, j’aurais voulu l’avoir écrite moi-même ». Si Nietzsche était un Surhomme en philosophie, il resta un homme en amour, et jamais a-t-il aimé personne plus qu’il a aimé Wagner, c’est pourquoi, jamais il n’a pu en parler ‘sincèrement’ et calmement. Car l’amour n’est pas calme.
Jamais l’amour ne permet d’être objectif… mais Hölderlin est moins pessimiste que moi, puisque pour lui : qui pense le plus profond aime le plus vrai.

Je m’aperçois que j’ai déjà écrit près d’une page sans véritablement parler de l’opéra sur lequel j’étais censé écrire. Je souffre en effet beaucoup de ce mal dont souffrent ceux qui sont passionnés par leurs sujets : la digression.

Dans Parsifal, Wagner tourne le dos à toute son œuvre passée, à toute la mythologie germanique et païenne qui l’a depuis toujours bercé. Plus de Valkyries, plus de dragons, plus de héros homériques qui luttent contre les Dieux et contre leur propre destinée dans une vaine tentative d’être plus qu’un homme.
Parsifal n’est pas un héros, il est même la figure de l’antihéros. Il est ‘innocent’, naïf, et même parfois un peu bête. En somme, il est chrétien, au sens où les derniers seront les premiers. Il ne veut pas ce qui lui arrive, il est l’instrument de forces au-dessus de lui dont il ne fait qu’interpréter la volonté, sorte de prophète, car on le sait, tout bon prophète ne veut pas être prophète, il est choisi en dépit de lui-même.

Mais si cet opéra tourne la page avec tout ce que Wagner a précédemment fait, ce n’est pas pour épouser la doctrine chrétienne de la rédemption. Je ne peux pas le croire, je ne veux pas le croire, et peut-être qu’aveuglé par cette conviction, je déforme les véritables propos du compositeur, mais comme on le sait depuis la physique quantique (depuis bien plus longtemps en fait, depuis Berkeley), l’observateur ‘déforme’ le sujet observé.

Basé sur les romans de Wolfram Von Eschenbach et de Chrétien de Troyes, Wagner parvient à transcender leurs proses grâce à son wortondrama, une unité parfaite entre les mots et la musique, cette musique qui, au moment de l’ascension de Parsifal jusqu’au Graal vous submerge. Une note plus rapide suit une note plus longue et abouti elle-même sur une note plus longue et ainsi de suite, permettant au spectateur d’avoir l’impression de gravir les cimes tant terrestres que spirituels avec le jeune chevalier.

Mais que veut nous dire au juste Wagner ? Il ne le sait pas lui-même. J’ai le romantisme de penser que les œuvres transcendent leurs auteurs. Il sait juste que quelque part, il y a une question à poser, mais il ne sait encore au juste laquelle, et sans doute ne l’aura-t-il jamais su. Et c’est pourquoi, lors de la présentation du Graal au château de Montsalvat, le fait que Parsifal ne pose pas ‘la’ question, le roi Amfortas ne sera pas guéri.

Wagner, vers la fin se fourvoie. Cela me peine de le dire, mais il ne sait pas toujours finir ses opéras, gangréné qu’il est par la volonté de rendre son propos grandiose.

Mais il sait commencer. Et Parsifal commence par ces mots que Gournemans, le doyen des chevaliers adresse à des écuyers : « Allons, réveillez-vous dormeurs ! »


 MK Sabir

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