« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

Darwin à Maurice

Le 9 mai 1836, Charles Darwin, à bord du HMS Beagle quitte Port-Louis.

Il est assez paradoxal qu’un pays comme le nôtre qui, à sa manière, a contribué à la naissance de la théorie de l’évolution, soit aussi pétrie de pensée religieuse et si rétive à admettre que la place de l’homme sur terre n’a rien d’exceptionnelle et que ce n’est pas une puissance supérieure qui nous a fait tel que nous sommes, mais bien plutôt la sélection naturelle.

Dieu a fait l’homme à son image… ce à quoi Prévert répond : dans ce cas, l’exhibitionniste lui rend hommage !

Parfois, certains hommes naissent, non pour réconforter l’humanité, mais pour lui faire mal, lui causer des blessures, dont les plus sérieuses sont des blessures narcissiques. Celles-ci, jusqu’ici du moins, sont au nombre de trois : il y eut celle infligée par Copernic, la terre n’est plus le centre de l’univers, celle produite par Freud, le ‘conscient’ n’est plus le centre de la vie psychique de l’homme, et entre les deux, on a la plus grave, celle dont l’homme ne s’est pas encore remis, et parfois, ne veut toujours pas y croire, causée par Darwin, l’homme n’est plus le centre de la vie. Il n’est qu’un animal comme les autres, un organisme parmi d’autres organismes.

De nos jours, la théorie de la sélection naturelle semble être sur le recul dans beaucoup de pays, et non des moindres, comme aux Etats-Unis, où le ‘créationnisme’ revient en force. Et qu’en est-il dans le nôtre ? Demandez aux Mauriciens ce qu’ils en pensent ; ils viendront pour la plupart avec deux réponses, la première stupide, la seconde, plus méprisante, lâche intellectuellement. Les uns répondront qu’ils n’y croient pas, que c’est Dieu ou les Dieux qui ont fait l’homme, que celui-ci est au-dessus des autres espèces animales et toute la rhétorique habituelle qui va avec. Les autres diront, que oui, ils l’ont étudié à l’école, ils y ‘croient’ (comme si c’était une question de ‘croyance’) mais qu’en dépit de cela, ils considèrent que Dieu(x) existe(nt) et qu’il existe un paradis, un enfer, une morale et autre idées tout aussi farfelues, dignes des contes de fées et qui, au même titre, que les farfadets et les licornes, relèvent de la légende ou des superstitions.

Darwin n’était pas un génie, au sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire doté d’un QI monstrueux, mais il était courageux intellectuellement ; il avait ce que Hölderlin appelait le ‘Aussicht’, la vue, cette lucidité  qui, selon le poète René Char, est la blessure la plus proche du soleil. Il a osé aller à contre courant de la pensée religieuse de son époque, lui pour qui la religion n’était qu’une « stratégie tribale de survivance ». Il a fait table rase des valeurs et de la connaissance de son temps pour élaborer une théorie est allé jusqu’au bout de la logique de celle-ci.

Toutefois, aucune connaissance n’est figée dans le marbre et ce ne serait pas faire justice à Darwin que de le ‘déifier’ et ne pas remettre en question ses analyses, ce que malheureusement les scientifiques d’aujourd’hui sont enclins à faire. Sans quoi, on tomberait dans le mal que l’on dénonce, car qu’est-ce que la religion sinon une inclinaison à dogmatiser et essentialiser les hommes et le savoir ?

Aujourd’hui encore, même ceux qui adhèrent aux analyses de Darwin n’en tirent pas toutes les conclusions, la seule qui soit logique : si l’homme est un être naturel, ‘perdu’ dans la sélection naturelle, alors, plus rien n’existe ! il n’y a pas de « droits de l’homme », « d’amour », de « morale » !

On ne pardonnera jamais à Darwin ceci : d’avoir banalisé notre espèce.

MK Sabir

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