« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

Un thé au Sahara, de Bernardo Bertolucci

Le film le plus sensuel qu’il m’a été donné de voir.

Pour les Occidentaux, c’est la forêt qui est le lieu mystique par excellence (comme en témoigne par exemple un Meister Eckhart), alors que pour les orientaux, c’est le désert.

Depuis Jules et Jim, le triangle amoureux est un thème récurrent au cinéma ; mais le film de Bertolucci prend le dessus sur celui de Truffaut pour deux raisons principalement.

La première, ce sont les grands espaces ! N’oubliez pas, nous sommes au cinéma, et chaque art doit puiser dans tout ce qu’il a à nous offrir. Si vous voulez voir deux personnages dans un lieu clos, n’allez pas dans les salles obscures, allez au théâtre ! C’est aussi une des raisons qui fait de There will be blood (dont nous traiterons ultérieurement sous cette même rubrique) un chef-d’œuvre. La nature, au cinéma, fourni non seulement une profondeur de champ visuel, mais aussi psychologique ; elle occupe, pour ainsi dire, la même fonction que le divan pour le psychanalyste. Elle permet au spectateur de se « laisser aller », de se fondre dans le décor.

La seconde, c’est le nihilisme apparent de Port et Kit Moresby, les deux personnages de l’histoire. Leur voyage est un voyage à travers l’espace mais en même temps à travers l’abîme de leur psychologie. Ils prétendent venir en Afrique pour ressourcer leur couple, mais on comprend vite que ce n’est pas la raison première ; ils répondent en fait à un appel transcendantal irrépressible. Dès qu’ils descendent du bateau, leurs destins ne leur appartiennent plus, ils se fondent dans quelque chose de plus grand qu’eux, en un lieu où l’Orient et l’Afrique se mêlent et où les Occidentaux ne peuvent faire autrement que de se perdre.
Ce voyage initiatique ne leur apprend pas à mieux se connaître, puisqu’il montre au contraire que l’individu s’efface aux confluents des grands espaces.

Depuis Aristote, on nous apprend qu’une bonne histoire est celle où il y a un personnage qui poursuit un but précis. Une bonne histoire, peut-être… mais pas une ‘grande’ histoire ! C’est quand justement les êtres errent telles des âmes en peine que le spectateur se confronte à ses propres doutes et qu’il est alors amené à s’interroger sur sa propre existence et sur la finalité de celle-ci.

Le sexe, dans le film, suit le même schéma que décrit ci-dessus. Les règles formelles attachées au mariage sont dissoutes et diluées une fois qu’ils foulent le désert. Et ils se donnent à l’un et à l’autre uniquement parce qu’ils sont proches l’un de l’autre. La proximité sentimentale n’existe pas, seule la proximité physique compte. C’est la géographie qui dès lors dessine les contours du désir.

Le film n’a aucun message à nous transmettre, ce qui est justement le propre d’une grande œuvre d’art. Le film ne fait que ‘montrer’. Il montre des êtres, qui ne sont plus des ‘individus’ mais des électrons libres, qui sont projetés l’un contre l’autre, puis l’un en dehors de l’autre. On ne déduit rien de leur parcours, sinon justement que c’est un parcours.

Le livre de Paul Bowles porte le titre original de The Sheltering sky… le ciel protecteur ! Ce qui me permet de terminer par ces vers du beau Hölderlin : nous nous tenions têtes nues sous les orages des Dieux.

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