« Un peu de mon corps est passé dans mon texte. » - Montaigne



L’activité d’écrivain est pulsion de mort, et l’écrivain est un être-pour-la-mort. On se dépouille soi-même pour créer d’autres soi-même, que ce soit de la littérature de fiction ou des idées.

Toute littérature est littérature de fiction, de friction. Le lecteur se frotte à l’auteur. Ce dernier doit le démanger. C’est comme dans la tectonique des plaques ; c’est le glissement entre une plaque supérieure et une plaque inférieure qui fait dériver les continents du lecteur et de l’auteur. Et l’on reconnaît que c’est puissant, quand cela donne lieu à des éruptions volcaniques ou des raz-de-marée dans la tête du lecteur.



Certes, le lecteur préfère parfois des mers calmes pour naviguer ; cela est plus propice aux rêves. Il choisira ainsi plutôt d’embarquer à bord de l’Hispaniola avec Jim Hawkins et aller à la recherche d’un trésor bien réel en espèces sonnantes et trébuchantes au lieu de grimper sur le Pequod du capitaine Achab en quête d’une obsession métaphysique.

Quant à l’auteur que je suis, j’invite le lecteur, je le contrains même, à un voyage cauchemardesque et je lui cris : Chassons-la cette maudite baleine blanche !

Ne m’appelez pas Jim Hawkins… Appelez-moi Ishmael !



La sodomie est l’acte sublime par excellence car il vient bousculer les trois monothéismes qui ont sacralisé l’acte sexuel et en ont fait une téléologie en vue de la procréation.

La sodomie incarne la « surprise », un phénomène violent à la dérobée.

Il faut prendre le lecteur par derrière et la lui mettre bien profond.


Friday 1 April 2011

Le Pavillon d’or, de Yukio Mishima

    Yukio Mishima, figure nietzschéenne par excellence, a voulu écrire comme il vit et vivre comme il pense.

     Pour saisir l’œuvre, il faut d’abord comprendre l’homme. Quand Heidegger enseignait Aristote à ses étudiants, en faisant la biographie du Stagirite, disait seulement ceci : il est né, il a vécu et il est mort. Si la vie d’Aristote était dépouillée d’événements manquants, on ne peut en dire autant de Kimitake Hiraoka, celui-là même qui choisira le pseudonyme de Yukio Mishima.
     Déjà, ce premier fait est marquant, puisqu’en prenant un pseudonyme un écrivain se dédouble, se crée une sorte de doppelgänger. Mais Mishima se refuse à cohabiter avec son double originel ; pas de concessions chez lui, il élève sa vie en œuvre d’art, dès lors, sa vie d’artiste sera indissociable de celle de sa vie d’homme, la première n’étant qu’une sorte de préface à la deuxième.
 
     Toute son œuvre fait la part belle au couple Eros-Thanatos ; en ce sens, on peut le comparer à un Georges Bataille… avec le panache en plus.

      Faisons un saut de quatre décennies et arrivons à sa mort, sa mort qui le rend immortel. Il meurt de la même manière qu’il a vécu, en se mettant en scène. Il se fait seppuku après un putsch manqué contre une base militaire. Putsch manqué mais effet réussi. Car ce qui lui importait ce n’était pas tant de rendre sa dignité à l’empereur du Japon – cela n’était qu’un prétexte – mais de se posséder lui-même. D’être l’auteur de sa propre vie et non pas un simple personnage oblomoviste comme s’en contentent le commun des mortels.

     Arrivons-en maintenant à ce chef-d’œuvre de la littérature mondiale et, à mon sens, le plus grand roman du vingtième siècle (j’entends déjà crier certains au scandale… Quid en effet de Ulysses de Joyce ou encore du Voyage au bout de la nuit de Céline ? Mais ceux-là ne se sont livrés qu’à un exercice de style, certes grandiose, mais un exercice tout de même. Mishima, lui, dans ce livre, comme dans les autres, s’est posé en véritable artiste, et a tenté, non sans succès, d’exorciser l’angoisse liée à la connaissance que l’on va mourir).

     C’est l’histoire d’un jeune moine qui décide (ce mot est important, car contrairement à l’impression que l’on pourrait avoir à la lecture du livre, il n’est pas « possédé » par une puissance supérieure qui lui dicte ses actes ; à l’instar de l’auteur, il PENSE- en effet, le roman est jalonné de kōan, sorte de courtes phrases absurdes et paradoxales qui sont censées conduire jusqu’à l’éveil) d’incendier le temple de Kinkaku-ji de Kyoto.

     La raison d’un tel geste ?

     Le temple était trop beau.

     Lisez… et vibrez.

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